Robert
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V- LE POIDS DES VENTES SUR L'EVOLUTION DU STATUT USAGER.
Nous avons précédemment constaté que, si les
vendeurs initiaux se sont enrichis, c'est surtout par rapport aux autres
propriétaires de
En effet, le massif était, dans son entier, grevé
de droits, et toute diminution des parcelles usagères augmentait la charge qui
pesait sur les autres propriétaires de la forêt puisque le droit des usagers
était
universel et sans limites.
Comme d'autre part les constructions ne pouvaient
que gêner l'exercice du droit d'usage, multipliant les obstacles à la
pénétration du massif, il est temps de nous demander maintenant si les
propriétaires avaient le droit de construire et de clore, quelle fut la
réaction des autres ayant-pins et que fut celle des représentants légaux des
usagers, les élus municipaux..
A) LE DROIT DE CONSTRUIRE ET
1) Pouvait-on construire ?
Le droit de construire est incontestable ; il a
d'ailleurs était confirmé plus tard, le 30 janvier 1888 (procès Sémiac-Brannens
contre les syndics), par le Tribunal de Bordeaux qui avait à juger d'une
affaire de construction en forêt sur les bords du lac de Cazaux (1)
En effet, jusqu'en 1977, où la forêt usagère de La
Teste a été inscrite à l'Inventaire de Sites, puis «en espace boisé classé à conserver», les transactions ne se sont
jamais préoccupées des constructions mais seulement de la coupe des arbres.
On pourrait certes estimer que, si les textes n'en
parlent pas, c'est que le droit de construire n'existait pas. Mais les
transactions n'ont parlé que des rapports entre ayant-pins et non ayant-pins,
c'est-à-dire des droits des uns et des autres sur les arbres ; il n'a jamais
été question du sol dont le caractère «privé» reconnu depuis 1604, fut confirmé
en 1759. Il n'y avait donc pas lieu de codifier, dans des textes contractuels,
les droits des propriétaires.
Un exemple permet d'illustrer notre thèse : la
forêt de La Teste a toujours produit du goudron, ce qui supposait l'utilisation
d'arbres ; or jamais il n'en a été question dans les transactions car cela ne
regardait que les propriétaires(2).
De plus, si l'article 12 de
Ainsi le propriétaire est soumis aux mêmes règles
de délivrance que les autres usagers et n’est pas libre d’utiliser les pins qui
poussent sur sa parcelle.
Que peut-il faire du bois ?
Comme les autres usagers, à condition qu'il habite
le Captalat, il peut l'utiliser pour ses besoins personnels et donc construire
puisque le sol lui appartient, s'interdisant par contre de vendre le bois et de
louer la maison édifiée.
Il doit cependant se comporter «en bon père de famille»
selon le texte de 1604, en évitant de détruire le fonds forestier; mais
rien ne l'empêche de construire dans une clairière, c'est le cas des cabanes,
voire en bordure de plage, comme c'est souvent le cas au début, si les syndics
représentant les propriétaires et chargés de veiller à ce que la charge de
l'usage soit équitablement répartie entre tous, ne le lui interdisent pas.
Quelques exemples, parmi d'autres, relevés dans les
actes notariés confirment cette possibilité de construire s'il n'y a pas
d'arbres :
-La parcelle A 15 sur laquelle Duprat installe son
établissement est en1822 un «vacant»
en bordure de bassin(4). Sa reconnaissance féodale de 1782(5)
mentionnait déjà : «maison servant de
corps de garde, place et terre où il y avait autrefois un jardin». II a
donc tout à fait le droit de construire.
-Pour celle que Lamarque achète au même Duprat en
1841, il est précisé qu'elle se compose de«pinadas
et pelous», donc d'une clairière(6). En 1844, Johnston, puis
Cutler deviennent, le 17 janvier, les propriétaires de «sables et pinadas» qui leur sont cédés par Nelly Robert(7)
dont ce sont les deux premières ventes : deux résidences y seront construites
en bordure immédiate de la plage, ce qui servira de précédent.
-En 1847, Julien Dmokowski, dans la pièce de Bos,
échange une parcelle de «sable blanc,
parsemée de quelques pins » (8) sur laquelle il sera
ensuite construit.
-En 1850, Louis Bourquin, horloger à Bordeaux, puis
Martin Dasté, sacristain à La Teste, achètent chacun à Alexandre Jéhenne un «emplacement parsemé de quelques pins»(9).
-En 1851, c'est une «friche» qu'acquiert A. Dehilotte Ramondin, pâtissier à La Teste(10).
Pourtant les excès vont assez rapidement entraîner
des «réactions».
Villa construite en 1847, en
bordure de plage, par Jean Frédéric Gièze, négociant à Bordeaux
Dessin de Léo
Drouyn (25 Août 1848)in »Le bassin d’Arcachon et la grande lande CLEM
1998)
2) La réaction des élus(11).
Il est remarquable que la première affaire grave
qui émeuve le Conseil soit, le 16 septembre
Comme il est Bordelais, le droit «de couper dans sa propriété pour construire
dans le Captalat» lui est très justement contesté. Mais le Conseil
Municipal, sans contester la faute, estime que les transactions ne «sont pas explicites» !!! et se
pose la question suivante : si tous ceux qui se trouvent dans la même position
agissaient comme lui, «la masse des
usagers trouverait-elle plus d'avantages aux travaux que font effectuer ces
individus qu'à profiter des bénéfices que leur rapportent ces parcelles dans
leur état d'intégrité?».
Le
Conseil unanime estime donc que les usagers sont en effet dédommagés de leurs
droits «par le bien-être qu'apportent
dans le pays les travaux exécutés dans le sens de ceux de M. Mérillon». Il
décide donc de ne pas poursuivre car «l'usage
des bois employés par M. Mérillon est trop profitable à la prospérité du
Bassin». Pour bien comprendre le réalisme de cette position, il faut savoir
que, sur 24 conseillers, 14, dont le Maire, sont propriétaires ou parents de
propriétaires d'Arcachon.
En 1850, ce sont quatre habitants de Sanguinet qui
sont verbalisés : sur ordre de Dupau, charpentier, «coutumier du fait», ils portaient du bois chez Monsieur de Marpon.
En 1851, une autre affaire concerne une vente « considérable d'arbres par Mme Lafon née Jéhenne», mais le Maire «n'est pas au courant» !!!
En
1852, une certain Dasté, qui a acheté une parcelle à Mme Jehenne, est accusé de
construire en vue de louer, ce qui est interdit puisque le droit d'usage est
strictement personnel et ne peut donner lieu à commerce. Les syndics lui
réclament le prix des 42 arbres utilisés, mais le conseil municipal intervient
car l'obtention du bois par l'usager valait engagement à ne pas louer et que
cet engagement est suffisant aux yeux des élus.
L'affaire fut cependant portée devant la justice et
la cour de Bordeaux accepta même, le 11 mars 1853, en violation de l'esprit des
textes, que l'on puisse obtenir du bois pour des constructions destinées à la
location ! Cette décision resta pourtant lettre morte, les syndics demeurant
fidèles aux transactions même si leur interprétation laissait parfois à
désirer. En effet, la lettre des textes ne correspondait plus à la situation, à
preuve cette protestation en mars 1854 de Catherine Lassère, marchande
d'habits, à qui on a refusé du bois comme «étrangère»
alors qu'elle exerce depuis 14 ans à
En
1853, le Maire se préoccupe enfin de «l'accroissement
des bâtisses et de la population qui risque d'épuiser la forêt» Il était
temps puisqu’il y avait alors 329
habitants contre 112 en 1851 et qu’ils
seront 390 en 1856 ; mais c'est, sur
plainte des propriétaires, pour interdire... aux usagers d'utiliser des chablis
et des pins incendiés ; il faut, dit-il, «user sans abuser» !
Enfin,
en 1854, ce sont les époux Deganne (Nelly Robert et son mari) qui sont accusés
-de «dégrader
leur propriété au point de vue forestier contrairement à la transaction de 1604
qui fait défense aux propriétaires de couper ni dégrader leurs bois et leur
recommande au contraire de les entretenir et conserver en meilleur état que
faire se pourra et de les améliorer de tous leurs pouvoirs».
En fait, le texte de 1604 précise que les habitants
ne pourront «ni autrement couper»
(c'est-à-dire au-delà de leurs droits -et le fait de prendre, avec la
permission du seigneur et en un lieu indiqué par ses représentants, du bois
vert pour construire fait partie de ces droits-), «ni dégrader le dit bois, ainsi l'entretenir en tout leur pouvoir».
- de «vendre un
grand nombre de pins soit à des étrangers, soit à des habitants du pays qui
devaient les employer pour des
constructions appartenant à des forains et étrangers», ce qui est contraire
à l'article 8 de
Cet article précise en effet qu'il «sera tenu à ce qu'aucun forain ou étranger
ne s'introduise dans les dits bois, montagnes, braux et bernèdes, pour y
couper, prendre ou emporter aucune espèce de bois...» et «qu'aucun habitant, propriétaire ou non
propriétaire ne pourra vendre ni débiter aux forains ou étrangers les bois
verts ou secs travaillés ou non travaillés, ni les faire transporter hors de
ladite juridiction, le droit d'usage desdits bois étant purement personnel aux
habitants pour eux et leurs maisons sans pouvoir en faire commerce».
- de «pratiquer
des tranchées» (c'est-à-dire des coupes de bois pour tracer des allées)
dans leurs parcelles et de vendre le bois ainsi abattu en bois de chauffage.
Le
conseil estime donc, à juste titre, que cela provoque «l'anéantissement des droits dans les deux pièces».
Il faut dire que dans la seule parcelle d'Eyrac les
ventes et constructions vont bon train : 2 en 1851, 14 en 1852, 8 en 1853, 12
en 1854 soit 36 en 4 ans(12) : c'est à une véritable urbanisation
systématique que les Deganne se livrent, avec ouverture de rues, en
contradiction formelle, on l'a vu, avec tous les textes.
Deux charpentiers testerins, Duprat et Duleau, pour
15 pins, et un ouvrier scieur de long, Pierre Urrety dit «la plume», «étranger à la
commune», pour 40 pins, sont aussi compromis et dans la foulée Mme Jehenne
(pour la parcelle des Places) et Duprat (pour celle de Bos Matchin et Peymaou)
sont accusés de faire de même (50 maisons pour la première et 9 pour le second
sur la même période de 4 ans !).
Comment réagit le Conseil ?
«Afin que d'autres ne fassent pas de même», il décide de faire une enquête complémentaire puis de contacter Gujan
(les deux communes sont solidaires), pour engager un procès afin de réclamer
une indemnité.
Or, le 23 août
Il insistait sur le fait que continuer serait leur
reconnaître «le droit de disposer
librement de leurs propriétés» et que ce qui se produisait «sans indemnité pour les usagers pourrait se
passer ailleurs» et risquait de provoquer, si l'on n'y prenait garde, «l'anéantissement complet des droits».
Très ferme, il ajoutait: «ce que je ne peux admettre, c'est qu'une contrée nouvelle s'établisse
et prospère en foulant dédaigneusement aux pieds les droits les plus patents
exercés par la commune».
Mais, nous le verrons plus loin, cette déclaration
énergique cachait l'essentiel : la volonté de supprimer, contre indemnité, les
droits ancestraux des habitants.
Quant à l'affaire Deganne, car celui-ci a attaqué à
son tour les syndics, elle reviendra encore les 7 et 17novembre 1855, devant
les Conseils de Gujan et de
B) L'INTERDICTION DE CLOTURER(13).
Mais si l'on peut construire en toute impunité, par contre l'interdiction
de clore est absolue.
Ce serait en effet une entrave intolérable à la
libre circulation des habitants et donc à l'exercice des droits d'usage. Mais
c'est aussi une entrave au développement de la future commune. Comment les
propriétaires vont-ils la tourner ?
C'est en 1843 seulement que le Conseil Municipal de
La Teste s'est officiellement intéressé au développement du quartier
d'Arcachon, preuve qu'auparavant cela se faisait dans l'indifférence quasi
générale. La seule mention antérieure dans les registres municipaux, en 1833,
précisait quel commune avait «plusieurs
établissements de bains dont un considérable» -celui de Legallais-.
1) La construction de la route d'Eyrac et du
débarcadère.
Les élus, donc, le 9 février, face au projet d'un
débarcadère, à Eyrac, et d'une route y conduisant depuis La Teste, demandent
qu'elle soit prolongée jusqu'à
Sont visés Marie Dejean, veuve Robert, et sa fille
Nelly qui, bien qu'âgée de 27 ans, est encore demoiselle (ce n'est que deux ans
plus tard qu'elle épousera Deganne) mais aussi Legallais. Celui-ci, conseiller
municipal n'avait en 1841, «jamais
assisté aux séances depuis 4 ans» et sa déchéance avait été demandée au Préfet...
Par contre si la route était prolongée, «les propriétaires intermédiaires pourraient
faire concurrence pour la vente des fonds avec le propriétaire sur le lieu
duquel le débarcadère doit être construit».
II s'agit donc là d'établir l'égalité de tous les
propriétaires (8 d'entre eux font partie du Conseil) dansa perspective de
profits importants, en quelque sorte de se partager le gâteau espéré, tout en
se réclamant du libéralisme ambiant puisque dans la délibération, il est dit
qu'il «en résulterait un bien général
pour les personnes qui désireraient former des établissements de commerce le
long de cette partie du bassin qui est avantageuse pour le mouillage et la
sureté des navires».
On rêve en effet d'une liaison entre La Teste et
l'Espagne. Dans ces conditions, la nouvelle route permettant de relier la gare
et le débarcadère, qui a été réalisé de 1843 à 1845 sous la direction de
l'ingénieur Alphand, La Teste se voit déjà comme l'avant-port de Bordeaux.
En 1846, il est précisé lors du Conseil municipal
du 29 mai, qu’un vapeur de la Marine Nationale «le Voyageur» mouille dans la
rade depuis deux ans et la même année, à partir du 1 juin, date de son premier
voyage, le «John Erickson» fit 15 liaisons entre La Teste, Saint-Sébastien et
Bordeaux. On comptait 8 heures de mer jusqu'à Saint-Sébastien et l'on espérait
rallier Bilbao en 13 heures.
Mais la déconfiture de la Compagnie de chemin de
fer ne permit pas de concrétiser les espoirs.
D'ailleurs, dès le 12 novembre 1844, la voix de Sicard d'Alongny,
inspecteur des douanes, s'éleva pour rappeler la réalité, à savoir que le
commerce testerin se faisait traditionnellement avec
Ce commerce maritime, nous dit son rapport, était
de 4.018 tonnes à l'exportation dont 3.981 tonnes de produits résineux, et de
2.761 tonnes à l'importation dont 1.926 tonnes de pierre à bâtir dont le pays
était dépourvu. Ce dernier chiffre prouve que les retombées des ventes
arcachonnaises commencent à se faire sentir.
Il ajoute que le projet de liaison était utopique :
«A cet embarcadère doit venir aboutir une
ligne de bateaux à vapeur qui, du bassin d'Arcachon, iront sur les côtes
d'Espagne. Que transporteront ces bateaux à vapeur ? Des voyageurs ou des
marchandises ? Des voyageurs... ! Mais ils s'exposeront, surtout en hiver, à
bien des mécomptes sur la durée de leur voyage ; chacun sait combien la mer est
rude dans le Golfe de Gascogne. Des marchandises... ! Mais le prix de celles
prises à quai à Bordeaux est très à bon compte...»
Comme beaucoup de ses contemporains, il ne voit pas
l'importance du tourisme et constate, dépité, qu’il aurait mieux valu
construire le débarcadère à La Teste et que la «chaussée des prés salés» ne permettra qu'une chose : «les baigneurs arrivés de Bordeaux pourront
se rendre à pied sec de La Teste aux établissements de bains».
La conclusion de son rapport est éloquente : «On dirait en vérité qu'une fée malfaisante
préside aux destinées de La Teste, que chacun cependant veut régénérer,
embellir et civiliser. Les particuliers y dépensent leur argent sans profit et
le gouvernement y dépense le sien sans que le pays obtienne les avantages qu'il
serait en droit d'espérer. Il fallait un débarcadère à La Teste, on le fait à
Eyrac... ».
Malgré ces opinions défavorables, la décision de
remplacer le chemin dit «du hourquet», qui mène à Eyrac, par une route
empierrée, avait été prise le 23 octobre 1843.
Mais l'année suivante, le pont sur la craste douce
fut emporté et il fallut établir un projet d'écluse, ce qui provoqua une
polémique avec les ingénieurs des Travaux Publics ainsi que la visite de leur
ministre, M. Dumont, le 18 novembre 1844.
Une
écluse sur la craste signifiait la mise hors d'eau des terrains situés au sud
de la route et l'abolition de fait, alors qu'ils en jouissaient depuis le 23
mai 1550, des droits des habitants à l'engrais marin, le coup, qu'ils y
récoltaient, ainsi que du droit de padouentage (pacage) encore utilisé en 1839
pour de petits chevaux. Un pont au contraire aurait permis aux marées de
continuer à recouvrir ces prés salés.
Mais les services de l'Etat eurent le dernier mot.
Un autre
problème était l'objet de contestations : le tracé de la route. La
municipalité, appuyée par les Douanes, soucieuses de favoriser le commerce du
port, préférait une route droite de La Teste jusqu'à la pointe de l'Aiguillon.
Cela aurait permis de «ménager un
embarcadère utile au port de La Teste» car on y déchargeait « les bâtiments caboteurs au lieu dit le
Caillou, au moyen de charrettes à bœufs qui font ordinairement 4 voyages par
jour, des magasins aux bâtiments» au tarif de 6 francs la journée.
Les Ponts et Chaussées arguèrent du prix trop élevé
(140.000 francs au lieu des 80.000 prévus) et la chaussée décrivit la courbe
qu'elle suit encore de nos jours mettant hors d’eau les terrains situés au sud.
Il est
intéressant de constater que cette position du maire Jean Hameau contredisait
celle qu'avait prise sept ans plus tôt le Conseil présidé par le maire Fleury.
Celui-ci avait en effet refusé (séance du 27 mars 1836) un projet de chaussée
en ligne droite proposée par le propriétaire des prés salés, M. de Castéja, car
il estimait à juste titre que ceux-ci faisaient partie du domaine public
maritime et que le bornage des prés salés décidé par l'Administration en 1833
et réalisé en 1834 était contestable.
Ce bornage, s'il reconnaissait la propriété privée
des prés salés, ne supprimait pas pour autant les droits d'usage des habitants
puisque seul un endiguement, conformément à la loi du 26 septembre 1807,
pouvait les abolir. C'est ce que confirmait d'ailleurs le tribunal de Bordeaux
le 20 août 1839.
Ainsi, la réalisation d'une chaussée droite aurait
hâté l'abolition des droits sur la partie endiguée comme le fit la construction
de la chaussée pour les terrains situés au sud.
Le choix des techniciens permit donc à La Teste de
conserver en «eau», jusqu'à la construction de l'actuelle digue, la partie de
prés salés dénommés «prés salés ouest».
2) La circulation à l'intérieur de la Forêt
d'Arcachon.
C'est à cause de la gêne apportée par les
constructions à la libre circulation que le problème des droits d'usage fut
pour la première fois abordé par les élus le 27 août 1845.
Les
constructions, dit le Conseil Municipal, deviennent tellement nombreuses et «tout annonce qu'on en bâtira encore
davantage», si bien «qu'on peut
craindre qu'avant longtemps il ne soit plus possible d'entrer du bassin dans la
forêt et vice-versa».
Il est donc proposé de classer un certain nombre de
chemins pour «pouvoir exercer facilement
le droit d'usage que les communes de La Teste et de Gujan ont sur cette forêt
et pour concilier les intérêts des communes et des propriétaires» (en fait,
ce ne sont pas les communes qui ont
des droits mais les habitants usagers, même s'ils sont, malheureusement pour
eux, représentés par les maires).
Le
conseil ajoute que le littoral ayant été «libre
d'accès parce qu'il n'était pas habité», c'est «de toute justice de circonscrire les lieux de passage (un chemin de
Cette délibération permettant à la commune de
tracer des chemins vicinaux jusqu’au rivage ouvrit en fait, on le verra, la
voie au futur cantonnement.
Quant à
la route de La Teste au débarcadère, malgré le vœu du Conseil qui la considère
comme«très utile pour la marine et le
commerce en général», elle ne sera pourtant pas prolongée puisqu'en juin
1847, le Ministre des Travaux Publics la refuse comme n'étant pas «d'intérêt public». Aussi, le 9 octobre
1847, le Conseil revient-il à la charge et fait miroiter l'intérêt de l'Etat
(revenus à tirer des maisons qui se construisent et possibilité d'écouler les
produits de la forêt moderne vers le débarcadère et le chemin de fer) ; mais il
actionne aussi la fibre religieuse (les habitants ne peuvent se rendre aux
offices puisque la route ne va pas jusqu'à
Nouvel assaut le 6 avril 1848 car la route et des
éclaircies dans les forêts de l'Etat «donneraient
du travail à une foule de malheureux».
Cet argument est repris par le Ministre qui, le 27 octobre, accorde 000 francs vu «l'urgence qu'il y a à donner pour l'hiver le plus d'ouvrage possible à
la classe ouvrière forcée de chômer pendant cette période».
C'était l'année des ateliers nationaux ; la
Révolution de février 1848 n'avait pu réduire le chômage né pendant la crise
économique de 1847 et la révolte parisienne de juin pesait dans les esprits !
Le
reste du montage financier est lui aussi lourd de menaces pour l'avenir : la
commune «trop pauvre, n'ayant même pas la
possibilité d'aider par des prestations en nature... !» abandonne sa part
du crédit de 6 millions voté par l'Assemblée Nationale bien que ces fonds à
venir aient déjà été affectés à l'amélioration de ses chemins.
Quant aux propriétaires, ils s'engagent pour 8.000
francs puis, le 22 novembre, décident d'abandonner gratuitement les terrains
nécessaires tandis que le Conseil de Fabrique qui est responsable de Notre Dame
promet une contribution.
Les travaux de terrassement ne seront adjugés que
le 13 janvier 1849, toujours pour venir en aide aux ouvriers pour l'hiver, «preuve de l'intérêt réel que porte
Puisque les propriétaires ont contribué aux
travaux, ce sont les usagers qui vont faire les frais de l'opération.
3) Le classement des chemins forestiers et de la
route.
En effet, la loi du 21 mai 1836 sur les chemins
vicinaux donnait aux préfets le droit de réglementer leur largeur, les
alignements, les élagages et écoulements et surtout le droit de construire en
bordure.
Deux catégories de chemins vicinaux étaient
concernées : ceux de grande communication ou d'intérêt commun, qui dépendaient
du Préfet, et les chemins vicinaux ordinaires qui relevaient de l'autorité
municipale (règlement du 4 mars 1851). D'autre part la loi du 22 juillet 1791
avait étendu aux routes départementales l'obligation qui existait depuis 1693
pour les routes royales, de soumettre toute construction et clôture à
l'alignement.
Il
suffisait donc de faire classer les chemins forestiers en chemins vicinaux, ce
qui fut décidé en 1845, réalisé le 23 mars 1846 et complété en 1850 «afin d'assurer une bonne viabilité aux
habitants» ; puis de faire classer la route
Le tour
était alors joué : il n'y avait plus qu'à faire appliquer la loi !
D'ailleurs, les actes de vente de cette période
portent souvent la mention suivante : «Si
contre toute attente la route venait à ne pas être classée, le vendeur devra
laisser à la place un chemin».
Le 20
juin 1846, la liste des chemins vicinaux ouverts ou aménagés à partir des
anciens chemins ruraux est établie en séance extraordinaire du Conseil puis
communiquée au Préfet, en application de la loi du 21 mai 1836 et du décret du
20 décembre 1838. Outre le «chemin de la
forêt d'Arcachon» vers
1) le chemin
de l'Aiguillon. De la route royale l’entrée de la forêt vers la pointe, en
longeant la lisière sud de la forêt au dessus de la limite des pleines mers,
long de
2) le chemin
Dumora qui menait du coude de la route royale à la mer et devait aboutir
sur l'actuel tracé de la rue Coste dans la propriété Dumora. Il avait
3) le chemin
Pontac qui, de la route royale à la mer, passe entre l'établissement
Gaillard et la propriété Hovy,
L'absence de chemin intermédiaire est justifiée par
le fait qu'un projet de «lotissement» appelé «Dumora-Ville» est programmé entre
les deux et que le Conseil préfère «se
contenter des ouvertures projetées
comme pouvant amplement suffire à tous les besoins de communication entre la plage et la forêt » ;
4) le chemin
Bel Air. De la route royale à la mer, au couchant de l'établissement
Legallais, de mêmes dimensions soit
5) le chemin
de Nelly. Il va du prolongement de la route royale à la mer; long de
Là encore, il y a entre les chemins 4 et 5 un
espace important, mais «les abords de la
forêt sont presque partout hérissés de monticules présentant des obstacles
continus à l'ouverture des chemins»- toutes ces petites dunes seront rasées
lors de la construction de la ville - et la seconde raison, c'est que «le
débarcadère, se trouvant situé intermédiairement, suppléera au manque de tous
autres chemins... surtout si on établissait à sa droite et à sa gauche une
rampe qui acheminerait vers la plage».
6) le chemin
Laviale, sur la propriété Jehenne. Il relie la route royale à la mer, en
passant à
7) le chemin
des Places. Sur la propriété de Duprat Bireban, près de la borne séparative
de la propriété Jéhenne, il a
8) l'Allée de
Il s'agit donc dans un premier temps des chemins
qui vont de l'actuel boulevard de la Plage au rivage et l’on ne peut que
féliciter les édiles de l’époque qui ont ainsi réussi à éviter une
privatisation et une fermeture complètes du rivage.
Le 6 février 1851, dans une nouvelle délibération,
le Conseil Municipal y ajouta 11 chemins intérieurs :
A) le chemin
de la Règue Blanque dont le tracé, bien que perturbé par la construction de
la voie ferrée, correspond aux actuels
cours de la Libération puis le cours Desbiey ;
B) le chemin
qui va du précédent au poste de douanes qu’empruntent aujourd’hui les rues
Saint Elme et Thomas Lussan ;
C) celui qui emprunte les actuelles rues Tendel et
Hovy ;
D) le chemin
de Bel Air au couchant de l'hôtel Legallais ;
E) le chemin
du débarcadère : empruntant l'actuelle avenue du Général de Gaulle jusqu'à
l'avenue Lamartine. Il se dirigeait ensuite vers la place de Verdun et, par
l'avenue de
F) le chemin
Lavialle, qui, prolongeant celui de 1846, passait au levant de la maison
Dasté puis devant la cabane de résinier, et rejoignait celui de
G) le chemin
Duprat qui, partant de
Il classa aussi comme chemins ruraux quatre autres
voies «laissées par les vendeurs comme
chemins de service ou de dégagement» que la commission estimait à
l'unanimité nécessaires aux usagers pour faciliter l'accès dans la forêt.
Trois d'entre elles, larges de
C'est à partir de ce canevas, route départementale
et chemins menant au Bassin, que fut poursuivi le réseau des rues
arcachonnaises. Si bien que le plan en damier de la ville basse n'est pas né,
comme on pourrait le penser, dans le cerveau d'un urbaniste, mais résulte de
l'adaptation à la nécessité d’accès à la mer et du raccordement à des voies
préexistantes.
4) Les autorisations de clôturer.
La
première autorisation préfectorale sollicitée et immédiatement accordée le 28
octobre 1848 concerne une palissade de pieux contre l'érosion de la mer chez
MM. Durand et Bataillé, à droite de
Mais
c'est en 1849, le 13 août, que le testerin Daussy obtint l'autorisation «de clôturer le terrain situé devant sa
maison sur le bord de la route de La Teste à Eyrac».
Tous les autres propriétaires suivirent, d'autant
qu'en 1847 le Préfet avait rappelé que l'autorisation de clôture le long des
routes départementales devait lui être demandée par écrit.
En 1850, 27 autorisations furent ainsi accordées,
11 en 1851, 13 en 1852 et 12 en
On ne peut donc plus circuler librement entre le
rivage et la mer en dehors des chemins vicinaux
définis en 1846 et 1851 et c'est légal... même si la loi nationale va à
l'encontre des droits ancestraux et des transactions locales !
Il ne reste donc plus pour parachever
l'appropriation de la montagne usagère, et nous avons vu que ce
fut fait dès 1853, qu'à demander le rachat de
droits désormais impossibles à exercer «sur
toutes les parcelles clôturées ou qui se clôtureraient à l'avenir» !
C) LE RACHAT DES DROITS
1 -L'attitude des
élus (15)
Le maire de Gujan,
Eugène Dignac, le 23 août 1853, protestait, on l'a vu, énergiquement contre les
atteintes aux droits d'usage ; mais il ajoutait aussi à sa déclaration des
propos particulièrement graves :
«En présence des difficultés,... se présente tout naturellement une
question des plus sérieuses, une question vitale pour les deux communes : je
veux parler du cantonnement Je n'ai pas à la traiter aujourd'hui... mais il
faudra nécessairement... adopter cette mesure si salutaire pour tous, ce qui
sera un jour le signe certain d'une prospérité nouvelle pour les deux communes.
Ce sera un éternel honneur pour celui qui, le premier, mettra sérieusement en
avant cette proposition».
En retour, le 10 novembre 1853, La Teste, ignorant
la délibération du Conseil gujanais, avait répondu à l'appel du maire Dignac en
proposant qu'une commission mixte étudie «l'affranchissement
de tous les droits sur
Parmi ces élus, il y a 4 propriétaires de la petite
forêt, dont le maire. Le 15 novembre, le Conseil Municipal de Gujan constata
que les deux délibérations marquaient une «différence
essentielle» et que la délibération de La Teste «allait au-delà de celle de Gujan». Il vota donc un nouveau texte
dans lequel il déclara : «il n'est
nullement entré dans l'esprit de la majorité du Conseil Municipal de Gujan de
réclamer l'affranchissement des droits d'usage... mais seulement de réprimer,
au profit des communes, les abus graves qui s'y commettent chaque jour... Il ne
s'oppose nullement à la nomination de la commission à condition expresse
qu'elle ne devra s'occuper que de la fixation amiable avec les propriétaires de
l'indemnité revenant soit aux communes pour la privation de leurs droits
d'usage, soit à la caisse des propriétaires pour l'aggravation de ces droits
d'usage dans les parties restantes des forêts également usagères».
Il semble bien que l'esprit du maire de Gujan et
celui de la majorité de ses conseillers n'aient pas été en phase !
Aussi, le 24 décembre 1853, en présence de 12
conseillers (1 était malade et 7 absents sans excuse), Dignac fit nommer une
commission «chargée de préparer les bases
d'un règlement qui déterminera soit le chiffre de l'indemnité... soit le mode
de répartition de cette indemnité».
Le Conseil recommandait «cette affaire au sérieux de la commission : cette dernière devra bien
se pénétrer de l'importance d'une question qui résolue d'une manière diffuse ou
ambiguë pourrait, en compromettant le présent, engager sérieusement l'avenir».
Après l'adoption unanime de ce texte bien ambigu,
le conseil nomma Dignac, Daney aîné, Seinlary, Daney officier de santé et Dumur
père, et les commissions des deux communes convinrent avec les représentants
des propriétaires du rachat des droits d'usage et du cantonnement de la forêt !
Ainsi donc, le Conseil Municipal de La Teste,
représentant légal des usagers, qui refusait de poursuivre en justice les
atteintes aux textes, même quand elles étaient avérées, a lui-même encouragé la
suppression des droits d'usage, au nom des intérêts économiques généraux, mais
au service aussi des intérêts privés représentés en son sein. Il a répondu
ainsi au vœu public du maire de Gujan qui n'eut pas, malheureusement pour lui, «l'honneur éternel d'être le premier» à
proposer officiellement cette solution puisque son propre Conseil, apparemment,
ne le suivit pas immédiatement.
2) Les termes du contrat.
La commission tripartie adopta le projet le 5
octobre 1854 et les élus eurent alors à se prononcer.
Sur les 14 présents au Conseil Municipal testerin
du 24 février 1855, un seul élu vote contre car il estime que l'indemnité est
trop faible ; un autre a des scrupules, il vote pour, tout en estimant qu'il
n'y avait pas lieu à indemnité «vu les
bienfaits qu'apporte Arcachon»; 3 s'abstiennent : Moureau, Peyjehan et
Lalesque.
L'accord avait été soumis au Conseil Municipal de
Gujan le 21 février ; il l'avait approuvé (3 élus seulement se prononçant
contre) en se basant sur la délibération de décembre 1853 et en oubliant celles
des mois d'août et novembre 1853.
Il fut ensuite présenté à l'Assemblée des
propriétaires qui l'adopta à son tour le 9 avril (déclaration revêtue de 77
signatures, ce qui semble correspondre aux résidents permanents ou à ceux qui
s'étaient déplacés) et fit l’objet d’un arrêté préfectoral du 22 Juin.
La nouvelle transaction fut signée le 17 Juillet
1855 par Pierre Louis Chéri Edouard Méran et Jean Daisson, syndics des
propriétaires d’une part et par Thomas Alphonse Lamarque de Plaisance, Maire de
La Teste demeurant à Arcachon et Jacques Paul Joseph Dumeur, armateur de pêche
et 1° Adjoint au maire de Gujan, d’autre part, représentants les usagers des
communes de La Teste et de Gujan.(16)
Lamarque de Plaisance
22.06.1813 Marmande-17.12.1880
Arcachon Maire
de La Teste 1852-1857
Maire d’Arcachon 1857-1865 et 1874-1876
L'exposé des motifs de cette transaction reprend
tous les arguments précédemment évoqués :
« -que le chemin de fer de Bordeaux à La Teste et la chaussée qui
le relie avec le Bassin d'Arcachon... ont donné aux bains de mer d'Arcachon une
extension telle que dans peu d'années la partie de la forêt qui avoisine le
bassin s'est couverte de magnifiques maisons et de superbes jardins d'agrément
;
-que cette forêt étant soumise à un droit d'usage en faveur des
habitants de La Teste et de Gujan, ce droit d'usage est devenu incompatible
avec la destination nouvelle du sol, car l'usage qui consiste à prendre du bois
dans la forêt et à y faire pacager le bétail ne peut plus s'exercer utilement
dans les parties de cette forêt occupée par des constructions, par des jardins
d'agrément ou autres ;
-que le succès des bains de mer allant toujours croissant, la côte
d'Arcachon est appelée à une prospérité capable de lui donner un développement
et des proportions considérables et dans un avenir prochain une cité gracieuse
aura remplacé sur les bords du bassin l'antique forêt usagère de ce lieu ;
-que cette transformation étant due à des circonstances heureuses et
étant en quelque sorte le résultat de la force des choses, il y a lieu de
faciliter son essor par les moyens les plus propres à assurer l'avenir de cette
localité ainsi métamorphosée ;
-que l’un de ces moyens réside dans l’affranchissement des droits
d’usage …puisqu’il est vrai que l'exercice de ce droit est gênant pour celui
qui le souffre et peut à certains égards être un obstacle au complet succès des
bains de mer qui contribuent si puissamment à la prospérité naissante de la
localité, prospérité qui doit être encouragée dans l'intérêt de tous, ayant
pour objet, en grandissant, de faire le bien-être de toutes les populations du
littoral en donnant de la vie et de l'importance à toute une contrée… »
La transaction prévoyait donc dans son article 1,
que « le droit d’usage… sur la
petite forêt d’Arcachon
pourra être racheté par les propriétaires du sol sur les parcelles de
cette forêt bâties et closes ou qui pourraient l’être à l’avenir, sans que
cette faculté puisse s’étendre au-delà des limites de cette forêt.»
Cela excluait donc de l’accord les parcelles de la
petite montagne non soumises au droit d’usage ainsi que les semis de l’Etat
situés dans le futur territoire communal.
L’article 2 précisait que ce rachat concernerait « le sol des constructions, les
terrains clos, les allées et voies publiques »Il contredisait donc
l’article 1qui précisait que seul était racheté le droit d’usage, ce qui
entraîna une vigoureuse protestation de l’ancien Maire de La Teste de 1821 à
1830, Jean Baptiste Marsillon Lalesque, dit Lalesque père, qui, dans un mémoire
imprimé(17), protesta avec juste raison, contre cette rédaction de
l'article 2 qui parlait «du rachat du
sol», alors que les ayant-pins en étaient déjà propriétaires depuis 1746 !
L’article 4 fixait le prix du rachat à 300 francs
l'hectare. Bonne affaire quand on sait que les parcelles se négociaient alors
autour de 5.000 à 6.000 francs l'hectare, grevées de droits. Le montant du
rachat ne représente donc que 5 à 6 % de leur valeur.
L’article 8, très important interdisait aux «possesseurs, à leurs successeurs
et ayant cause, des terrains rachetés » de «prendre dans le reste de la forêt le bois vif pour les constructions
et clôtures qu’ils voudront faire
dans les propriétés ainsi dégrevées ». Ils ne conservent, en
compensation, que le « droit de
prendre pour leur chauffage dans les forêts usagères de La Teste le bois mort,
sec, abattu ou à abattre et cela à perpétuité qu’ils soient ou non habitants
des communes usagères, pour leurs besoins des maisons construites ou à
construire sur les terrains rachetés »
Ce droit donné à tous les nouveaux habitants, en
contradiction avec les textes anciens, entraîna, là aussi la protestation
énergique de monsieur Lalesque
Les droits d’usages sont donc supprimés sur les
seules parcelles usagères rachetées et closes
(les articles 10 et 11 précisent en effet que les fond non clos et ceux qui,
même clos, n’auraient pas été rachetés, resteraient soumis aux droits d’usage.
De plus, ces
propriétaires perdent leur droit au bois vif pour construire sur les parcelles
rachetées.
Mais l’article 12 précise « la présente
transaction ne s’occupant que de
certaines parties de la forêt d’Arcachon qui font l’objet des présentes, et
étant tout à fait spéciale et particulière à ces parties de forêt, les droits
résultant pour les propriétaires ayant pins et non ayant-pins des transactions
locales demeurent entiers pour les uns et les autres en ce qui a trait à toutes
les autres parties de forêts usagères ».
Quand la commune fut créée en 1857, il fut précisé
dans l’acte de séparation « sans
préjudice des droits d’usage ou autres qui pourraient être respectivement
acquis ».
Si on
suit à la lettre le texte de 1855, on pourrait considérer que les
propriétaires des parcelles rachetées
ainsi que les arcachonnais non propriétaires habitant ces parcelles conservaient leurs droits sur les autres
parties de la forêt et qu’ils pouvaient donc demander du bois d’œuvre dans
l’actuelle forêt usagère de La Teste sans pouvoir l’utiliser dans les parcelles
cantonnées.
C’est
ce qu’avait reconnu en 1902 un auteur qui fait autorité, Roger Delage ([1]8), mais il ajoutait : « Malgré les termes de ces actes on a
toujours considéré la transaction de 1855 comme enlevant à tous les
habitants d’Arcachon les droits d’usage
autres que le droit au bois de chauffage. C’était peut-être en réalité
l’intention des contractants »Ce commentaire est à rapprocher des
protestations de Lalesque, qui déclarait être « au nombre des plus gros propriétaires
des forêts usagères» et qui était, depuis 1838, un des premiers lotisseurs
d’Arcachon ; on constate en effet qu’à propos de cet article 12 il ne
conteste toujours que le droit au bois de chauffage.
A ma connaissance, depuis 1855, le problème ne
s’est jamais posé, je n’ai en effet, jamais trouvé dans les
archives locales de document concernant des
demandes de bois d’œuvre par des
habitants d’Arcachon quel que soit leur lieu de
résidence.
La Petite Montagne Usagère d'Arcachon avait vécu,
sous la pression conjuguée des propriétaires du lieu, des élus de La Teste,
souvent les mêmes d'ailleurs, mais aussi de ceux de Gujan bien qu'ils soient
les représentants légaux des usagers.
Lamarque, montrant l'exemple, fut le premier à
racheter ses droits, devant notaire, le 11 août 1855.
3) L'attitude de l'Etat
Mais cette opération bénéficia aussi de la
bienveillante complicité des représentants de l'Etat. Ainsi Haussmann, préfet
en 1851, est l'ami de Lamarque, qu'il connaît depuis 1835, et vient tous les
mois d'août, à Eyrac.
Et si certains services comme les douanes
protestèrent le 8 septembre 1847 contre le fait que«les établissements de bains avancent tellement sur le bassin que la
libre circulation en est empêchée», rien n'entrava l'urbanisation.
Cette bienveillance fut manifeste lorsque le 21
juin 1850, le Préfet accorda à Gaillard jeune une concession sur le rivage
d'Eyrac. Cette concession avait été pourtant refusée par le Conseil Municipal
de La Teste, le 11 mai 1850, au motif que «le
terrain, couvert journellement parla marée, forme une espèce d'anse, refuge aux
nombreuses embarcations qui font la pêche et qui hivernent et tendent leurs
filets pour le séchage ; que c'est le point le plus central pour les
embarquements et débarquements et que le site fait partie intégrante du
bassin».
Mais le Préfet rejeta la demande du Conseil.
D) LA RÉACTION DES USAGERS
1) Les réactions collectives.
Il est très difficile, faute de documents, de
savoir ce qu'ont pensé les habitants de ces événements qui bouleversaient leur
paysage et leurs traditions mais plusieurs éléments sont à considérer :
-Arcachon est loin, malaisé d'accès, et la tendance
générale est plutôt d'exercer ses droits dans
-
-le XIXe siècle est beaucoup plus porté que le
nôtre au respect du notable et du propriétaire.
-de plus, cette époque ne permettait pas l'exercice
des libertés élémentaires : pas de droit à manifester ni à se réunir, ni à
créer des associations.
-d'autre part, les propriétaires sont maîtres des
municipalités et, depuis l'an 2, il n'y a plus de syndics des usagers ; c'est
ainsi que, le 6 mars 1826, c'est au Préfet que les habitants de La Teste durent
s'adresser (20) pour simplement avoir l'autorisation de se réunir,
allées de Tournon, le 16 avril, après la messe, afin d'appliquer les textes
ancestraux et d'élire des syndics «pour
faire cesser les abus».
Ce n'est qu'en 1845, le 13 décembre, que le Conseil
Municipal testerin se décide enfin à nommer, par 8 voix sur
dit le maire, les conseillers «gémissent» car ils enlèvent «aux
Communes les ressources qu'elles retirent des forêts»
Le Conseil Municipal de Gujan avait, quant à lui,
désigné ses syndics dès le 3 novembre 1836, nommant Pierre Daney, officier de
santé et Martin Cameleyre, le maire. Ils furent réélus le 10 mai 1840 puis de
nouveau le 8 février 1844. II semble d'ailleurs qu'à Gujan l'institution
n'avait pas été abandonnée puisque, le 10 décembre 1826, avaient été nommés deux
syndics des usagers : Bertrand Daisson Verduron et Martin Jules Cameleyre.
Quant au deuxième garde-champêtre, le premier étant
Testerin, ce fut donc un Gujanais, le charpentier
Jean Dutruch. Il fut nommé le 5 août, accepté par La Teste le 17, et ses émoluments,
500 francs par an, partagés entre les deux communes(21).
2) Les réactions individuelles
Les réactions collectives étant impossibles puisque
les Conseils Municipaux représentaient légalement les usagers depuis la loi du
18 juillet 1837 (Article 19), restent les réactions individuelles : on n'en
connaît que deux, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en eut pas d'autres.
L'une eut lieu en 1852 quand, dans la nuit du 5
mars, des chênes qui bordaient l'allée de
Léo Drouyn : l’allée de
A gauche, un
barque pour à
droite, le puits et la
faire la
« tormentine de soleil » cabane du résinier
de M. Lalesque
Bien qu'objet plus tard d'une polémique féroce
entre Deganne et le maire Lamarque de Plaisance, on ne trouve pas trace de cet
évènement dans les registres municipaux alors que, d'après ces personnalités,
l'affaire avait soulevé «l'indignation
générale». En 1858, Oscar Déjean l’évoque lui aussi: «depuis le bas de cet escalier (qui conduit à Notre Dame) jusqu’au bord du Bassin, s’étendait
autrefois une superbe avenue de chênes séculaires. Par un déplorable abus du
droit d'usage on a abattu ces magnifiques arbres en 1852 pour les remplacer par
des marronniers (22).
A sa suite, en 1859, Henri Ribadieu précisa, quant
à lui : «nous devons à ce terrible droit
de coupe la disparition d'une magnifique allée de chênes qui il y a 10 ans
tombèrent sous la hache aveugle des bougès»(23)
Pourtant, en
C’est le mérite d’André Rebsomen (25) d’avoir
rétabli en partie la vérité : il précise que l’abattage a été effectué par
M. Moureau père et que les chênes servirent « en
partie à la construction d’un bateau de plaisance ». Il constate aussi
que cette « œuvre de
destruction » avait commencé dès 1847 après la vente par M. Lalesque
des terrains à des particuliers dont il cite les noms. mais dont les achats
sont, d’après les actes notariés concernant la parcelle de Bos, postérieurs à
la date du 5 Mars ! Seul le pâtissier Dehilotte Ramondin avait à cette
date acheté la parcelle située à l’angle de l’actuel cours Lamarque et de
l’allée de la Chapelle (Décembre 1851)
Plus près de nous, Jacques Ragot, reprend la même
idée mais, en ce qui concerne la coupe des derniers arbres en 1852, il affirme,
de façon gratuite, que « des usagers
testerins étaient venus les couper durant la nuit, seul moyen trouvé pour
protester contre la violation de leurs droits par les nouveaux venus dans le
pays ».
En
réalité, toute la partie ouest de l’allée de la Chapelle avait été vendue le 21
Août 1851 au chanoine Gustave Montariol, secrétaire général de l’archevêché
dont le mandataire était Jacques Etienne
Moureau, capitaine au long cours. Quant à l’allée elle-même, large de
La seconde réaction, plus tardive puisque de
janvier 1854, est dirigée contre Deganne. Elle manque d'ailleurs son but
puisque le responsable, Martin Bouscaut, «coupe
des chênes dans une parcelle non soumise aux droits d'usage». Il s'agit de
la parcelle de Binette, située au Sud-ouest de Notre-Dame.
Interpellé puis relaxé, ce jeune homme, invalide de
guerre, s'en va chantonnant à Deganne lorsqu'il le croise : «Ces arbres sauteront et il sautera aussi».
Pendant trois
jours, il saccage, alors, aidé de sa mère qui réclame 300 francs pour stopper
le carnage, le jardin anglais et le cabinet de verdure de Nelly et poursuit son
œuvre, clamant qu'il en a le droit, malgré l'intervention des autorités locales
alertées qui lui dressent un procès-verbal. Jugé à Bordeaux, il sera condamné,
la nouvelle destruction s’étant exercée près de la maison de Deganne, dans une
parcelle cette fois usagère.
Il s'agit donc vraisemblablement d'une vengeance
personnelle mais c'est peut-être aussi une réaction contre un des plus gros
lotisseurs d'Arcachon. Elle témoigne cependant comme nous l'avons déjà constaté
du refus implicite de nombre d'usagers d'admettre que toute la forêt ne soit
pas usagère. Mais dans ce cas cette protestation musclée ne pouvait être que
symbolique puisque la procédure de cantonnement était engagée depuis deux
mois !
Adalbert Deganne ( Vertus 1817-Arcachon 1886), Ingénieur des Chemins de
fer.
Epoux de Nelly Robert, propriétaire à Arcachon (1845)
Maire d’Arcachon : 1870-71 et 1876-1880
In F. Montigaud « Arcachon depuis sa création » 1908-BM
Arcachon-
Rien d'autre n'apparaît dans les registres
municipaux.
Faut-il donc croire, comme l'affirmait unanimement
le Conseil Municipal en 1848 que les usagers se sentent effectivement «dédommagés de leurs droits par le bien-être
qu'apportent dans le pays les travaux» de construction qui se multiplient
sur le site de la future commune?
C'est très vraisemblable, d'autant qu'il reste pour
l'usage les
NOTES
1 Procès Sémiac Brannens, Archives municipales de
La Teste.
2 R. Aufan et F. Thierry, « Histoire des produits résineux landais », SHAA, 1990.
Voir
aussi le site web : « brais.poix.chez.tiscali.fr »
3 Transaction de 1759 AD Gironde 3E 5474, notaire
Duprat.
4 Matrice cadastrale de La Teste. Etat des
sections. AM La Teste.
5 AD
6 AD
7 AD
8 AD
9 AD
10) AD Gironde 3E 31211, Me
Dumora.
11) Tous les renseignements sont tirés des archives
municipales de La Teste de Buch (registres du
Conseil
Municipal, registre des arrêtés du Maire, dossiers thématiques).
12 Matrice cadastrale, AM La Teste.
13 Voir N° 11.
14 AM La Teste, l W 64.
15 Registres des Conseils municipaux de La Teste et
de Gujan Mestras.
16 AD
17 LaIesque père, « Réfutation du rapport sur le rachat du droit d'usage dans la
Petite forêt
d'Arcachon » Bordeaux, J. Dupuy, 1856.
18 Roger Delage «Du droit d’usage
dans la forêt de La Teste de Buch» Bordeaux, Cadoret 1902
22 Oscar Dejean, op.cit.
23 Henri Ribadieu «Un voyage au Bassin d'Arcachon », Paris J. Tardieu, 1859.
24 Abbé Petit, «Le
Captalat de Buch pendant la Révolution française», Féret et fils, Bordeaux,
1909
25 André Rebsomen, « Notre-Dame d'Arcachon », Delmas, Bordeaux,1937,