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                                                                        LA NAISSANCE d’ARCACHON

 

 

 

IV) LES VENTES (1)

 

A) VENTES ET QUARTIERS

 

A quel rythme, en quels endroits et par qui ont été construites les premières maisons d'Arcachon,

voilà ce que nous devons maintenant étudier.

 

Jusqu'en 1841, outre les «hôtels» et des bâtiments ruraux (cabane d'Eyrac, attestée en 1783 -de Binette en 1774), il n'y a qu'un seul «immeuble», de 132m2 et 3 portes et fenêtres appartenant en 1836 à Dumora fils aîné, Comme cette «maison» est déjà indiquée sur le cadastre de 1810 et qu'elle appartient en 1812 à son beau-père, Taffard de la Ruade, c'est certainement la cabane du résinier qui exploite la

parcelle. Elle est peut être aménagée en partie pour les loisirs de ses propriétaires. Elle sera cédée sous le nom de «maison Loze» avec le reste de la propriété à Pierre Célérier, le 30 décembre 1846 (2).

Elle précède donc celle que l'on considère comme la première villa d'Arcachon et qui n'est en fait que la première construction «étrangère», celle du futur Maire de La Teste, Lamarque de Plaisance, édifiée en 1842 sur 817m2 et ornée d'un portique grec. Contrairement à ce qu'indique la plaque commémorative, rue Léo Neveu, elle était au bord de l'eau à côté de la maison en bois du négociant bordelais, Jéhenne, et plus à l'est de celle de sa fille Mme Lafon, toutes deux construites la même année.

Ainsi, l'annonce de la construction du chemin de fer Bordeaux-La Teste, aventure commencée en 1835 mais qui ne se concrétise qu'en 1838 avec la naissance de la Compagnie, n'a pas entraîné d'achats spéculatifs ni parmi les actionnaires(3) :

 

Aristide Louis Péreyra, négociant à Bordeaux                                   

Henri Nicolas Hovy, négociant à Bordeaux, 102 Quai des Chartrons                

Walter et David (4) Jonhston, négociant à Bordeaux, 18 Quai des Chartrons.   

Henri Cart Méstrezat, négociant à Bordeaux, 29 Parlement Ste Catherine.              

Louis et Félix Lopez Péreira, négociants à Bordeaux, 9 rue d'Orléans        

Nathaniel Jonhston, négociant à Bordeaux, 2 rue Ferrer                                    

Jacques Galos, négociant à Bordeaux, 47 rue St Rémy                                      

David Frédéric Lopez Diaz, rentier à Bordeaux, 19 rue Fossé des tanneurs,       

 

ni parmi les ingénieurs actionnaires :

 

Fortuné de Vergéz F.J. (5) et Charles Bayart de la Vingtrie.                              

Auxquels il faut ajouter la banque Rotschild pour la somme de 5 millions.

 

En effet, ceux qui ont acheté, ont attendu qu'on projette puis réalise, en 1845, une route de La Testeau débarcadère d'Eyrac :

 

- Nathaniel Jonhston : achat en 1844, construction en 1848

- Mestrezat : 2 constructions vers 1845/47,

- Hovy : achat vers 1848, constructions en 1848-1851-1854.

 

Peu nombreux étaient en effet les téméraires qui voulaient traverser les Prés Salés en barque, puis utiliser les épaules des Testerines pour regagner la terre ferme, ou s'aventurer sur les chemins forestiers. Passe encore pour se rendre aux établissements de bains (Legallais avait, on l'a dit, un service de charrettes) mais il n'était pas possible de construire, dans ces conditions, des résidences secondaires.

 

C'est donc de 1845 à 1849 (construction de la voie Eyrac-La Chapelle) que le rythme des constructions s'est accéléré sans dépasser la jetée de La Chapelle, qui en est alors le point ultime, et sans descendre au sud de la route, l'actuel Boulevard de la Plage.

Remarquons d'ailleurs que sur 63 bâtiments alors construits, seuls 23 l'ont été par des «étrangers», soit 36,5%. Nous expliquerons cela en voyant l'évolution 1848-55, mais il nous faut auparavant nous poser deux questions : comment a-t-on vendu et à quel prix ?

 

Deux zones distinctes s'opposent : de La Chapelle à l'actuel Casino de la Plage, il s'agit d'achats individuels destinés à construire immédiatement la résidence familiale ; ailleurs, du Casino à l'Aiguillon, les achats sont soit spéculatifs, soit destinés à des établissements commerciaux.

 

1)   A l'ouest, les premiers lotissements.

 

Une étude détaillée des ventes et constructions, réalisée à partir des actes notariés sur des parcelles vendues par Lalesque et Duprat (6), montre qu'il s'agit de la constitution d'un véritable lotissement mais qu'il n'y a pas de plan préalable : premier acheteur, Lamarque, le 12 décembre 1841, est représenté lors de la signature du contrat par Marie Bestaven ; l'acte précise qu'il lui est cédé «16 ares de pinadas et pelous, au choix de l'acquéreur» sans aucune délimitation sur le terrain.

C'est ensuite autour de cette parcelle que les lots se constituent au gré des contrats, les premiers en bordure du bassin puis, en arrière et souvent achetés par les mêmes qui veulent tout simplement s'agrandir ; c'est ainsi que la propriété Bestaven est acquise en 3 fois de 1843 à 1846.

 

 

Le premier lotissement (7), au sens moderne du terme, apparaît le 25 novembre 1842 avec le partage Lalesque d'une pièce de 16 hectares ou 50 journaux bordelais entre le père Jean Baptiste Marsillon Lalesque et ses trois fils : «Justin», François, Osmin Lalesque, mineur, dont les tuteurs étaient Pierre Louis Benazet et Arnaud Bestaven ; Pierre, Louis, Jules Lalesque, étudiant en médecine à Paris et François Auguste Lalesque, médecin à La Teste. Chacun des fils reçoit 7 lots, le père s'en réservant 3, ce qui porte l'ensemble à 24 lots de 66 ares 66 centiares chacun, partant de l'actuelle allée de Joigny jusqu' au delà de la rue Léo Neveu (8). Le 29 septembre 1845, la première vente eut lieu par Osmin

Lalesque en faveur de son tuteur Arnaud Bestaven. Jusqu'en 1850, les ventes ne concernèrent que les terrains entre la route et le Bassin, puis le 25 septembre 1850, ce fut la première vente au sud de la route. Ce n'est qu'en août 1851 que l'allée de La Chapelle est concernée, puis le 31 janvier 1853 le futur Cours Lamarque.

 

       

 

2)   Que s'est-il passé ailleurs, à l'est ?

 

La différence est exemplaire : à l'est se sont installés les hôtels Legallais, Gaillard, Tindel, Lesca et Bourdain. C'est normal car nous étions plus près de La Teste et que, jusqu'en 1845, il n'y avait pas de route. Dans cet «environnement touristique» on voit apparaître deux ensembles constitués de petites maisons qui étaient destinées à la location.

 

           

                        

 

                                    Léo Drouyn (in Les bains de mer de La teste-1851)

 

                                                   l’hôtel Legallais                           la maison Mérillon        Montsarrat

 

Le premier ensemble est celui de Nicolas Louis Hovy, négociant bordelais, consul de Suède et actionnaire de la Compagnie de Chemin de Fer. Il achète aux époux Pontac «la majeure partie de la pièce d'Eyrac».

Cette transaction passée le 26 juin 1844 est assortie de deux conditions :

-le prix, 12.000 francs pour 2 hectares 22 ares, soit 54 francs l'are, sera payé, à la mort des vendeurs, aux héritiers. Ce sera fait le 13 août 1859.

-les époux Pontac se réservent deux lisières de 7,50 m de large, l'une à l'est, mitoyenne de Gaillard, l'autre à l'ouest, mitoyenne de Legallais, en échange de la garantie que la propriété vendue ne sera traversée par aucune voie d'accès au bassin.

C'est l'origine des rues Hovy et de la Gatinerie.

En 1848, Hovy a déjà construit 6 maisons identiques de 135 à 150 mètres carrés. Elles sont imposées sur la base de 10 portes et fenêtres, soit un revenu de 64 francs. Il y ajoute une plus grande maison (41 portes et fenêtres soit 142 francs, vraisemblablement pour son usage).

Le 27 mai 1863, il revendit la partie est où se trouvaient les maisons destinées à la location, soit 1

hectare, au libraire Lacou et à un négociant de Bordeaux, J.J Moyrand, à charge pour eux d'en régler le prix, 55.000 francs (terrain et bâtiments) à N. Jonhston auquel il devait cette somme.

L'autre cas est celui du Bordelais Pierre Célerier, négociant, domicilié 92 quai des Chartrons à Bordeaux. Le 30 décembre 1846, il achète à Dumora fils aîné 5 hectares, 58 ares et 10 centiares de la«pièce traversée par la nouvelle route qui va de La Teste à Eyrac». Sur cette pièce se trouve, on l'a vu, la «maison Loze» du nom de son locataire et, sur la plage, trois cabanes de pêcheurs.

Dumora garde au levant un «établissement» dénommé «La Smala», ce qui permet de supposer que cet édifice construit en 1845 était peut-être lui aussi un établissement de bains qui aurait succédé à un précédent signalé dès 1841. Cet ensemble gardé par Dumora sera appelé «Dumoraville» en 1851 ! L’achat se fait au prix de 22.000 francs, dont 4.000 pour la «maison Loze», soit 32,25 F l'are.

En 1849 Célérier y construit 6 maisons, nombre qui sera porté ensuite à 14 en 1851 et à 16 en 1854 ! Ces maisons seront louées meublées soit dans leur totalité, soit; dirions-nous, par appartement.

C'est ainsi qu'en 1850, le 29 juin, il annonce dans le Mémorial Bordelais qu'il loue des chambres meublées à 1 ou 2 lits à des prix variant de 1,25 à 3 francs. En 1851, ce sont deux annonces parues les 26 et 30 juillet qui vantent «de jolies maisons meublées, composées de 5 chambres, 71its, salon, cuisine...» offertes à 240 francs par mois, tandis que les plus petites (3 chambres, 4 lits, salon, cuisine...) le sont pour 150 francs par mois. II faut s'adresser à Pierre Célérier aîné, 92 quai des Chartrons, qui s'occupe donc lui-même des locations, ou au gardien, à «Moldune, près le port de la douane».

Il s'agit donc bien dans les deux cas d'opérations spéculatives destinées à la location estivale : la preuve en est qu'en 1854, pendant la saison estivale, Célérier et Hovy font partie des 4 plus gros loueurs de maisons et reçoivent respectivement 99 et 75 estivants.

Mais si Pierre Célérier a dû spéculer, il s'en est, si l'on peut dire, racheté en faisant donation, le 15 octobre 1854, de 18 ares, au lieu-dit «Moldune», quartier du Moing, à la Fabrique de l'Eglise d'Arcachon pour y construire la Chapelle de Saint-Ferdinand.

Ces deux exemples seront d'ailleurs largement dépassés par ceux plus tardifs du Bordelais Jéhenne et de Nelly Deganne qui lotiront leurs parcelles. Seront respectivement construites 77 et 39 maisons sur les lots qu'ils ont vendus entre 1851et 1855 ! Seule différence entre eux, Jéhenne vendait des terrains qu'il avait achetés après 1849 au sieur Duprat, tandis que Nelly Robert, on l'a dit, avec l'autorisation par contrat de mariage de son mari Adalbert, vendait sa propre dot.

Ces gens, sauf Nelly, étaient des «étrangers» qui avaient compris, après avoir installé leurs propres villas, tout l'intérêt qu'il y avait à acheter, pour les revendre, des terrains. On peut penser que l'affaire était rentable !

 

B) LES PRIX(9)

 

1)   Y a-t-il eu un «prix de marché» ?

 

Le dépouillement de plus de 400 transactions permet de répondre par la négative.

 

Dans la partie ouest, 3 propriétaires ont été l'objet de sondages (en effet, si la plupart des contrats ont été passés chez les notaires locaux, certaines transactions nous échappent encore quand elles ont été faites chez des notaires extérieurs) : Nelly Robert, propriétaire d'Eyrac (du Casino à la rue de la Mairie), Duprat, propriétaire de Bos Matchin et Peymaou (de la rue François Legallais à la villa Saint-Yves),les héritiers Lalesque, du reste, jusqu'à la jetée de la Chapelle et au delà jusqu'à la rue de Joigny. II ressort de cette comparaison que chaque propriétaire a ses propres tarifs, que cela ne varie pas en hausse au fil des ans et qu'il n'y a pas de différence sensible entre les prix en façade et ceux de

l'intérieur.

Par contre, les variations ne semblent justifiées que par l'emplacement ou la qualité de

l'acheteur : Nelly Robert vend au baron Portal au prix de 118,05 francs l'are, à l'ouest du Casino

actuel, puis quelques mois plus tard à Dejean au prix de 77 francs, près de l'hôtel Gaillard,

à St-Ferdinand, zone on l'a vu moins calme.

 

Quant à Duprat, c'est au Dr Hameau qu'il offre son prix

le plus bas (5,55 francs) alors que 2 ans plus tôt, Lamarque, à quelques mètres de là, a payé 31,20 francs, soit près de 6 fois plus. Est-ce le privilège de la médecine ou l'exploitation de l'étranger ?

A ce propos, ouvrons une parenthèse avec une anecdote qui éclaire notre remarque ironique mais non désobligeante : lorsque Dumora devient cessionnaire des prés salés de la veuve Gier, c'est «moyennant quittance du traitement médical de la dernière maladie de son mari» !

2)   Y a-t-il eu enrichissement ?

 

S'il n'y a donc pas de «prix de marché», il est par contre très net que les propriétaires ont largement profité de l'engouement pour la Petite Montagne d'Arcachon comme le montrent les prix pratiqués, à La Teste et Cazaux, pour les terres labourables, la vigne, la lande et surtout le reste du massif usager de La Teste. Les prix relevés à La Teste et Cazaux pour la période 1843/1854 oscillent entre :

- 4,16 et 18,75 francs l'are pour les terres labourables,

- 9,37 et 15,62 pour la vigne, - 0,29 et 6 pour la lande,

- et surtout entre 50 centimes et 1 franc l'are pour le reste du massif forestier usager, c'est-à-dire les parcelles de la Grande Montagne.

.

Il est intéressant de noter que la parcelle de Binette, d'un peu plus de 30 hectares, donne en résine en 1836/1837, à Nelly Robert, la somme de 300 francs, soit un revenu de 10 francs l'hectare.

Rapporté au prix moyen de la Grande Montagne, cela fait un rapport de 10% par hectare. Par contre, par rapport à la valeur marchande des parcelles de la Petite Montagne d'Arcachon, environ 5.000 francs l'hectare, le revenu n'est plus que de 0.2% du capital. On comprend que les propriétaires les aient vendues

 

II y a donc eu envolée des prix et enrichissement certain des quelques rares propriétaires qui avaient la chance d'avoir hérité de la Petite Montagne d'Arcachon ou la bonne idée d'en épouser des héritières, par rapport aux autres propriétaires fonciers testerins.

 

Mais en ce qui concerne Arcachon, il faut constater que lorsque la vraie spéculation commence, elle n'est pas le fait des grands propriétaires initiaux, Duprat, Lalesque, Robert et autres.

 

Le cas de la parcelle Jéhenne, dite des Places, est d'ailleurs exemplaire. Achetés le 9 janvier 1844 à Marie Peyjehan veuve Lavialle par Louis Alexandre Jéhenne, ferblantier, domicilié 51 cours d'Aquitaine à Bordeaux (10). «Ces 12 à 13 hectares de pinadas donnant résine» le sont au prix de 10francs l'are. Après quelques ventes entre 1845 et 1850, il meurt le 19 avril 1850.

C'est alors sa fille unique Jeanne, épouse séparée du sieur Lafon qu'elle avait épousé le 21 mai 1829, qui vend les terrains paternels. Ses prix ne dépasseront pas 100 francs l'are (sauf une fois en 1855) alors que c'est le prix des reventes effectuées immédiatement par ses acquéreurs, prix qui, sur la même période, varient de 100 à 1.000 francs l'are.

 

En ce qui concerne les Lalesque, jusqu'en 1851, alors que leurs terrains sont à l'ouest et donc plus recherchés, les prix se maintiennent autour de 35/40 francs l'are, avec une pointe exceptionnelle à 704 francs pour le terrain d'angle entre l'allée de la Chapelle et le futur cours Lamarque, face à l'église (il y a actuellement une pharmacie).

Si les prix s'envolent tout en restant irréguliers à partir de 1852, il semble que les propriétaires se sont simplement alignés sur les premières reventes. Le 7 décembre 1851, Davanceaux revend 6 ares 40centiares à un marchand de nouveautés de La Teste au prix de 117 francs l'are. Il réalise donc un bénéfice de 81 francs en 1 an (325%) puisqu'il avait acheté la totalité de la parcelle au prix de 36 francs, le 25 septembre 1850.

 

Chez Duprat, il est intéressant de constater que si le père s'est montré très raisonnable, c'est lorsque son fils Gabriel atteint ses 20 ans 3 mois et commence, le 25 décembre 1853, à vendre lui-même, que les prix augmentent (une donation partage avait eu lieu le 26 septembre 1852 en sa faveur et en celle de sa sœur avec un usufruit pour ses parents) : privilège de la jeunesse qui est plus vite en prise avec son époque ou souci d'améliorer les vieux jours de ses parents usufruitiers en évitant qu'ils se fassent exploiter alors que leurs acheteurs ont déjà commencé à s'enrichir ?

Ainsi, Martin Lestout, négociant, revend le 23 octobre pour 308,10 francs l'are ce qu'il avait acheté en 1845 à 15,62 francs. L'acheteur, Delclou, un Bordelais, revendra en 1855 au prix de 1.432 francs !!

 

Gabriel Duprat a d'ailleurs profité de ses biens forestiers pour éviter de partir au service militaire : la vente, le 5 octobre 1854, de 13 ares à Jean Darché, vient en complément de son remplacement. Il avait tiré pour partir le n° 38. Le prix était fixé à 500 francs plus 2.000 versés dans les treize mois avec un intérêt à 4 % plus la parcelle d'une valeur de 2.000 francs. Il était précisé qu'en cas de désertion de Jean Darché, le contrat serait annulé (il faut dire que cette année-là débutait la guerre de Crimée !).

C'est d'ailleurs à partir de 1852 que les reventes commencent et cela correspond à l'urbanisation de l'intérieur, sur de petites parcelles qui vont abriter les services nécessaires à une ville : commerces, artisans…

 

C) LES PREMIERES «RUES» ET L'ACCÉLÉRATION DES VENTES

 

En effet, en plus de la Départementale 4, de l'allée de la Chapelle (où la première vente eut lieu le 28 août 1851) et des anciens chemins forestiers, des rues commencent à s'ouvrir :

 

-dès août 1852, Lalesque trace une allée qui deviendra, jusqu'à Joigny, le boulevard de l'Océan,

-en octobre 1852, c'est une allée de 12 mètres d'est en ouest, dans la parcelle de Binette (avenue Sainte-Marie) qui est ouverte par Nelly Robert,

-en novembre, une vente est consentie le long de «l'avenue future» de la parcelle d'Eyrac-Les Places,

- en 1853, ce sont les allées de Tourny (avenue Lamartine) ouvertes en diagonale à travers une dune de 15 mètres de haut dite «dune Richon» du nom de son propriétaire, en procès pour l'occasion avec Deganne,

-enfin, en 1854, c'est Euphrosine Street, l'actuelle avenue Gambetta, jusqu'à la «grande allée de Mr Deganne» (à partir de la Poste) qui devait être les allées de Rivoli ouvertes en 1853. Nelly la baptise ainsi en souvenir d'une de ses amies. Large de 5 mètres, elle sera beaucoup plus tard portée à 15 mètres grâce à la Compagnie des Chemins de Fer du Midi...(11)

 

Ces ouvertures d'allées sont faites au mépris des statuts de la forêt, car il s'agit de nouveaux chemins nécessitant des abattages d'arbres :

certains actes portent d'ailleurs la mention que les chemins sont frappés d'une servitude d' «égouts d'arbres», c'est-à-dire qu'on doit y laisser passer les attelages évacuant les arbres. Ce sont ces allées qui ont permis à l'urbanisation de quitter le seul front de mer et la D4 (boulevard de la Plage) où, jusqu’alors, elle avait été cantonnée faute de voies d'accès. Le tableau ci-après résume cette évolution des ventes pour les principales parcelles «résidentielles» :    

                -

Parcelle                                1 ère vente          1 ère vente au               1 ère vente à

                                              sur bassin                    sud du CD                                l'intérieur

 

BOS Lalesque                          29.09.45                     25.09.50                             28.08.51

LES PLACES Jéhenne            06.06.45                             14.09.50                             28.10.51

LES PLACES EYRAC Robert  17.01.44                             13.07.51                             06.11.52

BOS MATCHIN PEYMAOU                   

Duprat                                     12.12.41                              25.02.50                             25.12.53                     

LE BERNET Lalesque            23.06.52                               13.09.52 

BINETTE Robert                                                                                                              30.10.52

 

Les contrats de vente des parcelles intérieures accordent souvent un droit de passage sur les propriétés voisines afin d'accéder au bassin (nous en avons recensé 89 mentions que l'on trouvera dans l'annexe 1).

Ils accordent aussi le droit de construire des cabanes de bains dans les allées conduisant de la D4 au Bassin. Ce dernier droit (44 mentions recensées dont 21 dans la parcelle de Bos) est encore en vigueur en 1994 pour nombre de propriétaires).

Cela a bien entendu attiré de nombreux «étrangers» supplémentaires et accéléré l'urbanisation.

 

LA FACADE MARITIME EN 1851

 

Les dessins de Léo Drouyn publiés, en 1851, dans le recueil intitulé « Les bains de mer de La Teste »(12) nous montrent ce qu’étaient les constructions édifiées sur le rivage. Les dessins sont numérotés de 1 à 5, depuis l’allée de la Chapelle (à droite sur le N°1) jusqu’à Eyrac.

 

                                                                                         1

 

Lafon (1847)             Gieze (1847)     Durand (av.1849)            Montariol

 Notaire de Podensac                négociant à Bx          débitant de tabac à Bordeaux      

                                    

 De l’autre côté de l’allée de la Chapelle, sur les terrains Lalesque, il n’y a pas encore de constructions. La première vente a lieu le 21 août 1851 au profit du secrétaire général de l’archevêché, le chanoine Montariol qui achète tout le côté ouest de l’actuelle allée de la Chapelle. En 1852 s’y élèveront deux constructions

 

    

 

Les villas s’échelonnent de l’allée de la Chapelle  au débarcadère 1 à 5 , de droite à gauche)

                                  (Leo Drouyn 1851)

                                                                                      

                                                                   3                                                                                  2

 

 

La villa de Hameau a été attribuée par Léo Drouyn à  Moreau, en fait Moureau avec lequel il possédait une pâture.

 

4

                                                

                                                                                                                                                                

                                                                                                                                                                                           

                                                    5                                                                      5                                                                                                                                                                                                                                              

 

 

D) ORIGINE, IMPLANTATION ET RÉPARTITION SOCIALE DES ACHETEURS

 

Les achats, jusqu'à ce que les droits aient été cantonnés, se répartissent ainsi : sur 263 parcelles achetées, 126 l'ont été par des Bordelais, 130 par des Testerins et 7 par des personnes étrangères au département dont 4 de Paris.

Une analyse des reventes jusqu'au cantonnement des droits montre que sur 89 parcelles et 3 maisons revendues, 51 (dont les 3 maisons) l'ont été par des Bordelais, 35 par des Testerins et 3 par des gens extérieurs au département.

 

Qu'en est-il de la répartition sociale dans la ville ?

 

La ville d'Arcachon a été longtemps caractérisée par une division en quartiers : ville d'Eté, commerçante, ville de Printemps (à l'ouest de Notre-Dame) et d'Automne (à l'est du monument aux Morts) résidentielles, Saint-Ferdinand et l'Aiguillon, plus industriels et «populaires» (pêcheries,

constructions navales), ville d'Hiver, médicale puis résidentielle.

Or, dès le début, nous retrouvons cette répartition spatiale : nous avons étudié les ventes réalisées jusqu'à la fin du statut usager de la forêt, eh divisant la future ville en 3 parties : ouest (parcelles de Moulleau, Bernet, Bos et Binette), centre (parcelles de Matchin, les Places, Eyrac) et est (parcelle du Moing). Nous n'avons retenu que 174 acheteurs : ceux dont les professions sont indiquées (certains ayant acheté plusieurs parcelles n'étant comptés qu'une fois) et nous avons classé ces personnes en 3 catégories :

 

1) catégories «fortunées ou cultivées», négociants, commerçants, rentiers, professions de santé (médecins, pharmaciens), juridiques (avocats...), enseignants, religieux, fonctionnaires.

2) artisans (bâtiment...), commerçants exerçant un métier artisanal (coiffeurs...), gens de mer.

3) gens de maison : on trouve effectivement une domestique, celle du Dr Lalesque qui participe à la«mode spéculative». Elle achète, allée de la Chapelle, une toute petite parcelle à 38 francs l'are en1852 pour la revendre à 416 francs deux ans plus tard. On relève aussi parmi les acheteurs deux «gardiens» de villas.

 

Nous obtenons ainsi les résultats suivants :

 

Tableau 1 :

Catégories      Nbre acheteurs       Façade Bassin        Intérieur

    1                       89                             48                        41

    2                       82                             12                        70

    3                         3                               0                          3

 

Tableau 2 :

Situation               Ouest                      Centre                    Est

Catégories        I     Il     IlI              I      Il      III             I       Il      III

 

Bassin             21      4      0           19     7       0           3       0      0

Intérieur           25    20      1           20     50      2           0      1     0

 

En ajoutant les deux zones «résidentielles» que sont la partie ouest et la façade sur le bassin des autres parcelles, cela donne :

 

Tableau 3 :                      I                        II                    III

Situation/catégories               

 

Ouest + Bassin              69                     31                    1

Centre intérieur              20                     50                    2

Est intérieur                      0                       1                    0

 

En affinant un peu plus, on constate qu'un certain nombre de membres de la catégorie 2 qui s'installent sur le bassin sont des Bordelais qui achètent pour construire résidence ou «cabanon» secondaire et non pour venir y travailler comme il semble que ce soit le cas pour ceux qui s'installent à l'intérieur.

Ainsi apparaît, dès le début, la division sociale qu'a connu la ville : les «privilégiés» par la richesse ou la culture à l'ouest ou sur la plage, les «travailleurs», ceux qui viennent s'installer pour exercer un métier, dans ce qui deviendra la Ville d'Eté.

Le tableau suivant confirme les précédents en mettant l'accent sur la superficie des parcelles achetées selon les catégories, tous secteurs géographiques confondus :

 

Tableau 4 :

Superficie/Catégories                    I                         Il                               III

 

+ de 1.000 m2                               63                      27                            0

+ de 500 m2                                  13                      27                             0

- de 500 m2                                  13                      38                            3

 

 

Enfin, un dernier tableau montrant la superficie de 273 lots classés par parcelles souligne encore cette répartition sociale et professionnelle qui n'est d'ailleurs pas particulière à Arcachon : en ce qui concerne les quartiers ouest des villes, on observe partout qu'ils sont résidentiels.

 

Tableau 5  (B : façade sur bassin - I: intérieur)

 

Parcelles/Superficie   +1.000m2     +500m2           -500m2     -100m2

Zone                            B     1            B   1               B        1         B     1

 

Moulleau                     2                                

Bernet                         6      8            0    2               0        1         0     0

Bos                              7    30          12    9               1    13       0     9

Binette                                   3              

                       

Total                          15     41         12  11               1   14       0     9

 

 

Il faut noter que dans cette partie ouest, les parcelles de la pièce de BOS supérieures à 1.000 m2qui se trouvent à l'intérieur sont la plupart du temps sur le boulevard de l'Océan, zone résidentielle.

 

Tableau 6

Parcelles/Superficie        +1.000 m2           +500 m2         -500 m2              -100m2

Zone                             B        I                          B        1                 B       I              B        I

 

Machens                      4      10                0       11             0        8                0        1

Les Places/                  4        11              1       18             0      25                0        4

Jéhenne                                                

Eyrac Robert                7      17                9         6             1        7               0        0

 

Total                           15      38               10       35            1      50                0         5

 

Dans cette zone centrale, commerçante, le cas de la parcelle d'Eyrac-Robert est à considérer à part : en effet, une partie des grandes parcelles de l'intérieur se trouve dans la zone résidentielle entre le futur Casino et le futur chemin de fer.

 

Tableau 7

Parcelles/Superficie    +1.000m2          +500m2        -500m2             -100m2

Zone                            B       I               B             I             B           I              B      I

 

Eyrac                           0       3               0      3                    1           3             0      0

Moing                          3       3               0             0             0           0             0      0

 

Total                            3       6               0             3             1           3             0      0

 

Les ventes de grandes parcelles n'ont, ici, rien de résidentiel. Ce sont surtout des achats pour installation d'hôtels ou de chalets locatifs.

 

Total général             + 1000 m2           +500 m2                   -500 m2            -100 m2

                                    B      I                B        I                   B       I             B       I

 

                                   33     85             22     49                  3      57          1     14

 

 

                                              _______________________________________

 

NOTES

 

1) Les archives utilisées sont celles des notaires locaux conservées aux archives de la Gironde.

    Me Dumora 3E 25167 à 25170 et 3E 31210 à 31240.

    Dignac 3E 25252.

    Baleste Marichon 3E 26762 à 26765.

    Soulié 3E 25152 à 25666.

    Baleste Marichon (Bx) 3E 26763 à 26766, 26872, 26875, ainsi que les registres de matrices 

    cadastrales (AM La Teste et AD Gironde).

    Seules seront donc indiquées les références extérieures.

2) AD Gironde 3E 35653 Me Macaire, Bordeaux.

3) 1837, procès verbal de l'Assemblée Générale de la société anonyme du Chemin de Fer

    Bordeaux-La Teste. BM Arcachon.

4) David Jonhston, (1789-1853), fabricant de porcelaines, fut Maire de Bordeaux de 1838 à 1842. 

5) C’est en sa faveur que le chemin de fer fut adjugé, le 26 Octobre 1837.

6) La plupart des actes ont été passés en l'étude de Me Dumora.

7) Le plan, inédit, a été conservé par la Société Scientifique d'Arcachon qui nous l'a aimablement

    communiqué. C'est à notre sens le premier document graphique concernant l'urbanisation d'Arcachon.

8) AD Gironde 3E 25165, Me Soulié.

9) LES PRIX

Afin d'avoir une référence quant à ce que représente le prix des terrains, voici, tirés des mercuriales testerines ( Registre des arrêtés du maire) ou bordelaises (AD Gironde 6 M 1148 et 6 1 84), quelques prix contemporains du développement d’Arcachon  (ils sont en centimes pour un kilogramme  de marchandise)

 

Années    pain choine     pain de seigle  bœuf, mouton, veau

                 (blanc)                                              (prix moyen)

                Bx         LT              LT               LT     LT      LT

1830                                       20,8         

1831                     40                      

1835                                                           47           40       47

1836                     40                                  50     50       40

1837                     43                                            45

1838                     44                                            50

1839                     50                      

1840        38,5      40              28,3                     40       40

1841        33,5      40                                  50    45       50

1842        35,5      47                      

1843        38         52                                  50    40       50

1844        39                           

1845        37                           

1846        41,2                        

1847        47,2     46                       

1848        33        35                       

1849        30        30                       

1850                    27                       

1851                    30                       

1852                    31                       

1853        46        38                       

1854                    52                       

1855                    47                                    1,30  1,50 (fr. Bx)

                                      

1856        52

1857        47

 

SALAIRES : en 1850, l'entrepreneur de semis Ramondin donne à ses bûcherons 3 francs par jour. Comme l'objectif journalier est d'assembler 100 fagots de 20 kg, chacun destinés à couvrir les semis, le salaire obtenu est en moyenne de 2;50 francs par jour.

En 1857, un résinier doit dépenser de 5 à 7 francs pour acheter un hapchot (Amédée Boitel, Mise en valeur des terres pauvres par le pin maritime, S.M. Arcachon).

 

10) AD Gironde 3E 25, Me Grangeneuve.

11) Archives régionales de la SNCF, Bordeaux.

12) Voir aussi : « Léo Drouyn, les albums de dessin-Le bassin d’Arcachon et la Grande Lande » 

     ouvrage dans lequel j’ai présenté d’autres dessins de l’auteur